Le développement des crypto-monnaies

Publié le par Nicolas

Toutes les folies spéculatives sur un marché atteignent un point au-delà duquel les présentations devant des investisseurs potentiels entrent dans le domaine du surréaliste. Il en est ainsi pour les “initial coin offering” (levée de fonds pour un projet de crypto-monnaie), ou ICO. Une nouvelle levée de fonds lancée par une société nommée POW invite les utilisateurs de Facebook à prendre des jetons gratuitement. Quand ceux-ci deviendront plus tard convertibles dans d’autres monnaies, les premiers à avoir pris avantage de cette offre pourraient “peser 124 milliards de dollars… les rendant parmi les plus riches de la planète”, assure la publicité. Ce n’est pas un mauvais retour sur investissement sans fonds investis ni risque encouru. Aussi bizarres soient-elles, il est difficile de résister à ces bulles : personne ne veut être le dernier de son groupe d’amis à entrer dans la danse. Elles peuvent aussi être financièrement ruineuses. Mais parier sur une frénésie, même très douteuse, est parfois bien plus que de l’avidité aveugle. Le boom des ICO est une excroissance du monde émergent et parfois indéchiffrable des crypto-monnaies. Il s’agit d’une forme de monnaie (le Bitcoin et Ether en sont des exemples) utilisée dans des transactions enregistrées dans un registre comptable numérique, distribué et public, appelé blockchain. Une ICO est une technique pour lever des fonds pour un projet rédigé dans un contrat et hébergé sur une blockchain. Pour investir, les parieurs utilisent des crypto-monnaies pour acheter des jetons. Ces jetons deviennent la monnaie effective du nouveau projet. Un nouveau réseau social, par exemple, pourrait se financer grâce à une ICO, et ensuite autoriser ses utilisateurs à utiliser leurs jetons pour acheter des biens ou des services sur le réseau lui-même lorsque celui-ci est lancé. Pour les projets de monnaies qui réussissent, la demande pour ces jetons devrait augmenter et les investisseurs initiaux peuvent faire des bénéfices. Les ICO ressemblent autant à une nouvelle forme de crowdfunding, ou collecte de fonds en ligne, qu’à un bond en avant technologique par rapport aux régulations contraignantes des levées de fonds plus orthodoxes. Elles font aussi fureur. La valeur d’Ether, la monnaie utilisée sur la blockchain Ethereum, a augmenté de 2 400 % par rapport au dollar au cours de l’année passée, et se targue d’une capitalisation de près de 28 milliards de dollars. Les ICO ont permis de lever presque 2 milliards de dollars en 2017. “Les ICO ressemblent autant à une nouvelle forme de crowdfunding qu’à un bond en avant technologique par rapport aux régulations contraignantes des levées de fonds plus orthodoxes” Cela ressemble à de l’irrationalité totale en action, vouée à se terminer dans les larmes. Mais alors, pourquoi la fête continue-t-elle ? Les frénésies sont aussi vieilles que la finance, et les économistes ont consacré beaucoup de temps à les étudier. On les impute souvent à un accès aisé au crédit, mais la nature humaine à elle seule est capable de planter des banderilles dans le cou d’un taureau fou. Comme Charles Kindleberger l’explique dans son livre ‘Manias, Panics and Crashes’ (Frénésies, paniques et krachs), l’enthousiasme pour les nouveaux marchés ou les nouvelles technologies provoque souvent un optimisme excessif, qui entre généralement en collision avec la réalité lors d’un krach spectaculaire. Cela semble en contradiction avec le concept du marché “efficient” dans lequel les prix des actifs reflètent la valeur actualisée des bénéfices futurs attendus, et où l’argent simple d’accès et sans risque est rare. Mais les économistes ont appris que les marchés ne s’embarrassent en fait que peu de cette efficience. La valeur actualisée des dividendes, par exemple, varie beaucoup moins au cours du temps que les indices boursiers, ce qui signifie que l’opinion qu’ont les gens de l’état du monde varie plus qu’elle ne le devrait si l’on s’en tient à l’Histoire. Les marchés sont meilleurs pour définir les prix des actions individuellement que collectivement. Selon les mots de Paul Samuelson, ils sont “micro-efficients et macro-inefficients”. Mais cela peut être dû au fait que des actions individuelles sont bien plus à même d’offrir à des investisseurs bien informés des opportunités de profits rapides et sans risques. La folie des ICO va certainement entraîner les valorisations au-delà du raisonnable. Une telle distorsion peut se produire quand il est difficile de prendre le côté pessimiste d’un pari, par exemple avec le “shorting”, ou vente à découvert (qui consiste à vendre des titres que l’investisseur ne possède pas dans l’espoir que le prix de ceux-ci baisse). Dans certains cas, lors du boom de la tech des années 1990, le peu d’actions émises par de nombreuses nouvelles sociétés de la tech et disponibles sur le marché rendait cela presque impossible. Mais lorsque les émissions d’actions ont augmenté, les cours ont eu leur mot à dire et les marchés se sont effondrés. L’immobilier est un autre domaine particulièrement coriace : lors de la crise mondiale, la poignée de financiers qui a trouvé des supports financiers pour parier contre les titres hypothécaires a fait fortune. Avec les crypto-monnaies, il existe quelques possibilités pour parier à la baisse, mais il n’en existe aucune pour les jetons ICO (ceux qui prévoient d’en acheter pourront y réfléchir, si la réflexion est dans leurs cordes).

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