Doctrine politique

Publié le par Nicolas

Nous pouvions regarder ici qu'aucune des doctrines politiques existantes ne contient de solution possible à la grande crise des sociétés modernes: nous avons, en outre, reconnu maintenant que chacune d'elles, par des voies qui lui sont radicalement propres, tend nécessairement à faire prédominer des dispositions intellectuelles, aussi étroites qu'irrationnelles, directement contraires à la nature du problème, même à l'égard de l'objet trop exclusif qu'elle y poursuit spécialement. Il est d'ailleurs évident que les sentimens développés respectivement par ces différentes doctrines, ne sont pas, en général, plus satisfaisants que les idées correspondantes. D'abord, chaque doctrine, quoique ralliant très imparfaitement ses propres partisans, leur inspire inévitablement une violente antipathie générale contre toute autre école, dont ils ne pourraient sans inconséquence reconnaître le mérite propre; une doctrine vraiment rationnelle et complète pourra seule, tout en conservant son indépendante originalité, inspirer ultérieurement des dispositions plus équitables et plus conciliantes. Mais il faut, en outre, remarquer surtout, à ce sujet, que si l'une quelconque de ces doctrines politiques, et la doctrine révolutionnaire plus qu'aucune autre, en tant que déterminant d'actives convictions, profondes quoique partielles, peut développer, dans les ames élevées des sentimens vraiment généreux de différentes natures; d'un autre côté, il n'est pas, malheureusement, moins certain que, chez le vulgaire, chacune d'elles, tend moralement à exercer, de diverses manières, une influence anti-sociale très prononcée. Ainsi, la politique révolutionnaire tire, sans doute, sa principale force morale de l'essor, très légitime quoique souvent exagéré, qu'elle a la propriété d'imprimer à l'activité individuelle: néanmoins, même indépendamment d'un indisciplinable orgueil ainsi soulevé, on ne peut se dissimuler que sa redoutable énergie ne repose aussi, en partie, sur sa tendance spéciale au développement spontané et continu de ces sentimens de haine et même d'envie contre toute supériorité sociale, dont l'irruption, libre ou contenue, constitue une sorte d'état de rage chronique, très commun de nos jours, même en d'excellens naturels, où il aggrave beaucoup l'irrationnelle influence, déjà si pernicieuse, d'une disposition d'esprit trop exclusivement critique. De même, la politique rétrograde, de moins en moins compatible avec de vraies convictions chez toute intelligence un peu cultivée, tend directement, malgré ses vaines prétentions morales, à développer éminemment ces dispositions à la servilité et à l'hypocrisie, dont son règne passager nous a offert tant d'éclatans témoignages. Enfin, la politique stationnaire, outre la sanction implicite que sa doctrine de neutralisation accorde nécessairement aux vices simultanés des deux doctrines extrêmes, exerce aussi, d'une manière plus spéciale, une influence morale non moins désastreuse, par l'appel plus direct qu'elle ne peut éviter de faire, dans son application continue, aux instincts d'égoïsme et de corruption. La vaine opposition de nos diverses écoles politiques n'est donc pas moins pernicieuse sous le rapport moral que sous le rapport intellectuel: à l'un et à l'autre titre, elles tendent également à détourner la société des véritables voies d'une réorganisation finale. Si, intellectuellement envisagées, elles concourent à développer l'anarchie, il n'est pas moins incontestable que, considérées moralement, elles poussent ensemble à la discorde. Les uns, dans l'intérêt exclusif de leur propre conservation politique, au lieu de comprimer, chez les classes dirigeantes, une tendance à l'égoïsme et à la séparation, trop prépondérante aujourd'hui, s'efforcent de lui donner artificiellement un essor monstrueux, en osant leur représenter les prolétaires comme des sauvages prêts à les envahir; en même temps, par une réaction funeste quoique inévitable, les autres entreprennent de précipiter aveuglément les masses contre leurs véritables chefs naturels, sans l'indispensable coopération desquels elles ne sauraient nullement accomplir les améliorations fondamentales qu'elles doivent si légitimement poursuivre dans leur condition sociale. C'est ainsi que, par un désastreux concours, tous les partis actuels tendent, en divers sens, à éterniser, en l'aggravant sans cesse, la douloureuse situation sociale des peuples les plus civilisés.
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